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LES MICRO-MONDES DE DADAVE

Dadave fige certaines époques révolues de l’ère électronique en produisant des formes fixes dans une dynamique entropique inscrite dans une unité de temps et d’action.

 

Cet artiste autodidacte endosse les habits d’archéologue et de sculpteur pour construire sa recherche plastique autour des composants électroniques qu’il collecte, accumule, dissèque, assemble et ordonnance savamment sur support bois. Après une 1ère composition à blanc sans colle, ces objets de récupération d’un temps déjà révolu sont à nouveau en connexion. Ce sont des câbles, des gaines, des cartes mères, des touches de clavier, des éléments prélevés des tubes cathodiques, des condensateurs, des circuits intégrés… La plupart engendrent des sculptures abstraites aux formes géométriques. Différents volumes tridimensionnels à l’effet parfois hypnotique. Certains s’érigent tels de véritables tours de Babel composées de touches azerty, d’autres révèlent la célèbre pomme du constructeur informatique ou encore le flag de Jasper Johns.

 

Dadave fait dialoguer le fait-main et la technologie en préservant toujours l’origine de la forme et de la couleur. Les objets connus aux fonctionnalités altérées, désormais inefficaces et improductifs, élargissent le sens du champ de production de l’ère du numérique. Minutie, course incessante vers le plus petit... Ces micro-mondes sont dévoilés en préservant le mystère de leur technicité. Là où le connu se transforme et où le même devient autre. Il ne s’agit pas de décrypter mais de se laisser porter par le relief, le volume, la rugosité, la souplesse fragile qui se révèle au toucher. Ces assemblages de variations de matières concrétisent un dispositif abstrait qui épouse les représentations sphériques ou rectangulaires.

 

L’artiste sublime leur caractère sculptural par leur assemblage repensé, réorganisé par la couleur et la taille. Agencés pour s’influencer, se répondre, se contredire dans leur composition, dans leur usinage et leur usage, les composants font sens ensemble, dans un nouvel espace de dialogue. L’opération accède aÌ€ une identité lumineuse, une présence adressée. La richesse des tonalités, la complexité des fragments et des textures nous précipite dans une immersion enveloppante. Une modélisation du réel fabricant le virtuel. Une approche technologique, entre l’accident et le programme qui ouvre de nouvelles portes et d’autres dimensions.

 

La pertinence et l’originalité du vocabulaire plastique se décrypte également en vue aérienne. Des mégapoles fabriquées de toutes pièces de ce matériel informatique obsolète se dessinent telles de véritables cités futuristes sorties d’un film d’anticipation. On pense au nouveau réalisme compilé d’Arman, aux sculptures organiques de Steven Rodrig, au Manhattan recyclé de Zayd Menk, ou encore aux photos sur le gaspillage des e-déchets de Benjamin Von Wong.

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Afin de témoigner de l’histoire d’une technologie vouée à l’obsolescence, ce recyclage de données existantes est aussi une tentative de réconcilier les modes de vie écologiques et électroniques. Un tri sélectif utilisant le passé pour témoigner dans le présent. Les travaux de Dadave interrogent sur la mémoire, celle des données cachées et celle de notre époque qui hisse ces objets obsolètes, avatars furtifs, au statut d’oeuvres d’art.

 

Caroline Canault

COURTS CIRCUITS

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Circuits imprimés montrant sans pudeur leurs dessous, squelettes d'ordinateurs et de télévisions désossés, l’art de Dadave est l'archéologie joyeuse de notre civilisation.

 

Une quête de beauté et de sens à partir de déchets électroniques qui provoque et révèle. Accumulation pas très cathodique. En entrant dans l’atelier, formes et couleurs en l'air comme au sol entraînent dans une ronde hypnotique. On s attendait à d’austères bouts de silicium bien sages, nous voilà devant des rouges, des bleus, des jaunes et des verts aguicheurs. Bien cachés dans des boîtiers aseptisés, les charmes inattendus des résistances, câbles et autres condensateurs ne se révèlent qu’après usage. «Avant toute création, je commence par mettre à poil les écrans de télévisions et d'ordinateurs» lance l’artiste-accumulateur décomplexé. Telle des perles en céramique ou des bonbons rutilants un peu canaille, les pièces extraites s’exhibent sur les étagères en attendant de former une oeuvre. Cinquante à cent ordinateurs sont parfois nécessaires pour réaliser un tableau ou un bas-relief.

 

La « Tour au caractères » dominant un coin de l’atelier montreuillois, tel un gratte-ciel couvert de touches de claviers, contemple le chantier d’une ville polychrome en circuits imprimés parsemé de diodes lumineuses. Les grandes mégalopoles de buildings verticaux inspirent Dadave, qui aime en reproduire les silhouettes allongées au cordeau. Les rythmes réguliers et les formes géométriques des composants électroniques se combinent pour former des fresques urbaines s’étendant parfois sur plusieurs mètres. Bâtis sur les dépouilles d’objets du quotidien, ces monstres fascinent en même temps qu’ils effraient. Au plafond, des astres étranges, pelotes hirsutes de fils de couleurs, oscillent entre l'organique et le sidéral. Les murs grouillent d'une vie aux tons électriques.

 

Ces savantes compositions de gaines électriques dansent et s’animent. Les effets d’optique inspirés de l’art cinétique donnent un sentiment de mouvement. Dadave veut séduire l’oeil avant de donner des leçons de tri. Apporter un sens esthétique à ce qui était auparavant utilitaire. A ses débuts bellevillois, réutiliser des matériaux était d abord un moyen économique de créer. Au-delà de la lutte contre le gaspillage, le créateur se dit admiratif de l’intelligence et du travail représentés par ces petites pépites de la technologie. Une fois hors d’usage, l’univers froid de la technologie fait place à l'histoire des concepteurs et des utilisateurs successifs qui ont marqués l'objet. A l’occasion d’une exposition de Dadave, il n’est pas rare qu’un ingénieur se laisse aller à la nostalgie.

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David Dieudonné

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